« Car dans tout berceau / Il germe une tombe. »
Les Rayons et les Ombres, Victor Hugo. Que faire de plus après avoir lu ces vers d’une des plus imminentes figures du XIXème siècle ? Écouter le dernier album du trio britannique URNE, A Feast On Sorrow. D’une accablante fermeté, nous ramenant à la douleur extrême de perdre un être cher, ce condensé de moins d’une heure ne lésine tout simplement pas sur les exactitudes de l’impuissance mortelle face à l’inexorable.
Et c’est ainsi que débute notre procession. The Flood Came Rushing In vient donc précipiter le déluge qui caractérise cette œuvre cathartique. L’introduction est énigmatique, l’eau monte. L’envoi est par la suite direct, le chant part d’un coup, mêlé aux percussions et à la guitare. Une ombre Blackened s’introduit dans un ensemble de Death et de Punk, le rythme n’est pas binaire. La tournure est plus sombre vers 1:40 pour une reprise plus Nu. Une grêle de riffs coupants apparaît, la gratte et la batterie se répondent, le chant est écorché, un retour au Blackened ressurgit. Le calme avant la tempête puis ces mêmes cris, saisissants. La guitare reprend ses droits, très gojiresque (!), pour un écorchement Black. L’album nous annonce clairement qu’il incarnera une démarche plus saturnienne, vraisemblablement funèbre, que SERPENT & SPIRIT sorti 2 ans plus tôt. Le morceau s’arrête net, donnant une impression d’inachevé. Les dés sont donc jetés, aucun moyen de respirer par ce tumulte écrasant. L’annonce est faite. La personne est morte. L’heure a donc sonné mais continue de sonner. To Die Twice, littéralement. L’introspection est brutale et la batterie, martiale. Le Sludge prend tout son sens ici. Les cris ont une tournure plus sombre et se perdent dans les profondeurs avant d’accélérer avec une guitare qui garde le rythme. Nous passons donc d’une introduction davantage Doom à un barrage total. Une ambiance Indus se dégage à partir de la troisième minute. Le rythme reprend de plus belle mais d’une manière discontinue, les pauses sont là. L’horreur de cette submersion involontaire est omniprésente. Le souffle revient pourtant dans un esprit plus apaisé. Le cri se termine, nous rappelant notre triste sort. Les cloches s’entendent au loin et la mélodie acoustique du cruel désespoir vient clore le tout.
A Stumble Of Words arrive et s’allonge, conquérant sur 11 minutes. Pour reprendre les termes retranscrits par Sam Law, il est un « (…) monologue audacieux et brutal (…) » entraîné par une batterie progressive et une guitare lourde avant que l’ensemble ne s’harmonise à 50 secondes. Il répondra au dernier et long morceau, The Long Goodbye/Where Do the Memories Go? (voir infra) où « (…) les deux s’inspirent d’une influence celtique inattendue – des guitares pleureuses de la légende du blues irlandais Gary Moore au mystère et la mélancolie de vieux classiques populaires comme The Night Visiting Song et The Parting Glass ». Pour ainsi revenir à ce mélange de mots, le chant arrive, à la Architects. Mais les instruments ne tardent pas à reprendre leurs droits ; seraient-ils les mots ? Ces maux ? C’est plaintif, mais le retour est belliciste. Les appareils se répondent puis silence. La guitare reprend dans un style acoustique vers la cinquième minute et la batterie s’y ajoute plus pernicieuse que jamais. La guitare vient sonner le glas par un solo triomphant. Le calme ne dure jamais. Les tourments de l’âme sont toujours là, sous-jacents. Une voix provient des profondeurs, l’autre souffre. L’accalmie. Retour au début, la mer est complètement déchaînée, s’immisçant violemment, et l’arrêt en est presque trop brutal. La majestueuse Belharra vient de tout terrasser. Cela me rappelle l’album Fulgur Imperii de Gohrgone.
Arrive ensuite, et dans une certaine frénésie, The Burden, le fardeau continue. Tout comme Edgar Alan Poe, URNE traite d’une descente dans le fameux maelström, ce grand tourbillon nous emmenant jusque dans les affres de l’océan. L’ataraxie n’existe plus. Le Rock arrive avant de s’alourdir. La rythmique est semblable à ces arrivées accablantes. Une impression de lourdeur démoniaque nous écrase, continuée par un autre solo à la Death Mélodique. La batterie s’y ajoute pour que nous retrouvions l’esprit Blackened. Les blasts fusent, la double pédale appuie et des chants presque dérangeants nous parviennent ; « (…) métaphore de la pression qu’une famille ressent en se noyant dans la souffrance de l’un des leurs. », c’était donc ça. Nous devenons alors ce que nous tentons à tout prix de fuir, liquéfiés. Becoming The Ocean nous lamine. Le début est rapide, violent, presque insaisissable ; le chant vient des précipices, d’emblée. Le trou béant se dévoile devant nos yeux effrayés. Il devient plus clair mais toujours éreintant. Vers 1:30 le gouffre abyssal et fantomatique nous parvient totalement. La guitare s’agace. Le rythme se tend pour reprendre dans une tournure plus dramatique. Un arrêt. Puis deux. Et la marée revient, plus menaçante encore. Les vagues nous submergent. Le point culminant de l’album est là, A Feast On Sorrow se dresse devant nous.
L’introduction au piano pleureur offre un aspect liturgique, presque dramatique et mélodieux, avant que ne survienne la réalité pesante, cette finitude qui continue de nous guetter ; la photographe Rachael Talibart l’a parfaitement capturée, renforcée par l’utilisation du noir et du blanc. Le chant assimile alors une tessiture allant du foncé au clair, davantage Nu pour reprendre jusqu’à un rendu plus tortueux. Le morceau éponyme de l’album « (…) joue avec la sévérité du Black et du Death Metal, mais se ramifie dans un territoire audacieusement Prog qui rappelle Machine Head et Mastodon à leur meilleur à couper le souffle. ». Le long passage instrumental rassemble à la fois le mouvement des vagues comme celui du tourment des âmes humaines, nous ramenant à notre individualité face à ce genre d’odyssée. Ovide l’avait bien compris, l’eau, symbole de vie, de naissance, mais également de mort et de perte qui nous envahit. Le moment de paix n’est que de courte durée avec Peace. Des bruits familiers, une voix plus apaisée s’entendent au loin, et des sons de vagues. Mais le fond est torturé, la mélodie est calme mais pas harmonieuse, quelque chose reste là, s’accroche. Il est « (…) Un intermède de 72 secondes de calme relatif au milieu du chaos, gratté sur une vieille guitare acoustique abîmée, et finalement livré par [Joe] Duplantier (…) ».
Et c’est ainsi, The Long Goodbye/Where Do the Memories Go?. Ils parlent d’une « (…) résignation douce-amère (…) ». Pourrait-on parler d’acceptation ? Non, il est encore trop tôt. L’introduction se fait plus incisive mais la guitare plus mélodieuse, à la limite de la ballade. C’est un grand au revoir. Les instruments finissent par s’accorder ensemble. La voix respire la lourdeur caractéristique de l’album aux élans indomptés. La guitare reprend le lead pendant la troisième minute avant de laisser la place aux percussions. Les distorsions envahissent l’atmosphère de plus en plus, entremêlées aux blasts des vagues. Un semblant plus humain s’entend dans l’intonation. Les instruments s’effacent, la guitare est plus douce, de légères vibrations surgissent et l’ensemble se retire.
RAS. Tout a été enseveli. Mais un espoir demeure, celui que la mort fait partie de la vie et que celle-ci continue.
Pistes :
- The Flood Came Rushing In
- To Die Twice
- A Stumble Of Words
- The Burden
- Becoming The Ocean
- A Feast On Sorrow
- Peace
- The Long Goodbye/Where Do the Memories Go?
Titre(s) emblématique(s) de l’album : The Flood Came Rushing In et A Stumble Of Words.
Titre ovni : Peace, mais il n’est pas vraiment un « titre ovni », qu’une simple césure nécessaire à la compréhension de l’œuvre dans sa globalité.
Titre dont on aurait pu se passer : Aucun, l’ensemble est cohérent.
17/20