Événement inédit et unique en France, la venue du groupe de Rock groenlandais Nanook à Granville a marqué les esprits. Véritables rockstars dans leur pays, les musiciens se produisaient pour la première fois sur une scène française, offrant au public non seulement un concert exceptionnel, mais aussi un rare moment de rencontre avec l’identité artistique et culturelle de l’Arctique. Entre découverte musicale, échanges interculturels et temps forts partagés, cette première française restera comme une soirée hors du commun pour la cité corsaire.

Aluu Nanook ! C’est à quelques kilomètres de Granville que plus de 350 spectateurs ont rempli l’Espace Culturel de Saint-Martin-de-Bréhal pour assister au tout premier concert en France de Nanook, le groupe culte de ce pays de 57 000 habitants. Certains étaient même venus de loin, attirés par la rareté de l’événement et par l’aura de ces ambassadeurs du Grand Nord.

On dit d’ailleurs qu’un habitant sur deux au Groenland possède un disque de Nanook — comme si la musique des frères Elsner faisait désormais partie du paysage sonore du pays, au même titre que la mer, la glace et le silence des fjords.

Le nom de Nanook n’est d’ailleurs pas inconnu non plus de nombreux lecteurs français, puisque le groupe apparaît en filigrane dans plusieurs romans de l’écrivain breton Mo Malø, dont les polars situés au Groenland ont largement contribué à faire découvrir la culture inuit au public hexagonal (« Qaanaaq », « Diskø », « Nuuk », « Summit »).

Fondé en 2008 à Nuuk – la capitale – par les frères Christian et Frederik Elsner au chant et aux guitares, Nanook s’est imposé comme l’un des groupes majeurs de la scène groenlandaise grâce à une Pop Rock mélodique chantée dans leur langue, le kalaallisut. Un choix identitaire assumé qui fait de leur musique un pont entre tradition inuit et modernité.

Un choix d’autant plus fort que le Groenland – Kalaallit Nunaatterritoire autonome au sein du Royaume de Danemark, porte encore l’héritage d’une longue histoire où la langue et la culture inuit ont été reléguées au second plan au profit du danois, notamment dans l’enseignement et l’administration. Depuis les années 1970 et l’instauration d’un gouvernement local, puis l’élargissement de l’autonomie en 2009, un vaste mouvement de réappropriation culturelle et linguistique s’est affirmé.

Dans cette histoire, certains artistes ont ouvert la voie — au premier rang desquels Sume, groupe mythique dont les albums des années 1970 ont posé les bases du Rock groenlandais tout en revendiquant une identité inuit forte.

En chantant exclusivement en kalaallisut, Nanook s’inscrit pleinement dans cette renaissance : ils participent à réaffirmer une identité groenlandaise fière, vivante, et désormais portée bien au-delà de l’Arctique.

Ce retour affirmé aux langues inuit fait d’ailleurs écho à d’autres voix du Nord, comme celle de la célèbre canadienne Elisapie, qui porte haut l’inuktitut dans sa musique (voir notre article sur son concert parisien) – une preuve que, d’un territoire à l’autre de l’Arctique, la création contemporaine se réinvente en renouant avec les langues autochtones.

Pour cette première et historique date française dans la carrière de Nanook, il fallait un concert en forme de best-of destiné à offrir au public un condensé de l’identité musicale du groupe. La setlist, pensée comme un voyage à travers quinze années de création, a guidé le public des premiers pas discographiques — le désormais classique album Seqinitta Qinngorpaatit (2009), d’où émergent KisimiinneqTimmissat TaartutSeqinitta Qinngorpaatit ou Sivittorpormi — jusqu’aux teintes plus contemporaines de Ilutsinniit Apuussilluta, leur dernier album, où brillent notamment Sussa Ilaallutit et Salliutitani.

Au fil du concert, le groupe a également convoqué ses plus grands succès : Aarnuaq, Ai Ai, IngerlaliinnaleqaagutQiimassutissarput Aajuna — avant de conclure avec l’éponyme Nanook, véritable manifeste artistique.

Dès les premières notes, la salle a été emportée par la musicalité de la langue groenlandaise, le kalaallisut, cette langue aux consonances souples et rythmées, dont les inflexions chantantes donnent à la Pop Rock du groupe une couleur immédiatement identifiable. Même pour ceux qui n’en comprennent pas un mot, chaque syllabe semble ouvrir une fenêtre vers le Nord : cliquetis doux, chuintements légers, mots qui roulent comme une houle polaire.

Musicalement, Nanook a déployé ce qui fait sa force : des mélodies lumineuses, tour à tour tendres ou plus énergiques, balançant entre ballades introspectives et rythmes enlevés sans jamais perdre leur élégance mélodique.

Les textes, eux, explorent les thèmes qui traversent le Groenland contemporain : la relation intime au territoire, la présence constante de la mer, la mémoire familiale, les transformations du monde arctique, le sentiment d’appartenance et la fierté culturelle mais aussi le mythe autour de l’ours blanc (nanoq). Une poésie simple, directe et puissante, qui parvient à toucher même au-delà de la barrière de la langue.

Parmi les surprises, la présence sur scène de la célèbre actrice groenlandaise Varste Mathæussen, qui a fait plusieurs apparitions armée d’un qilaat, tambour traditionnel groenlandais.

Mais le séjour des artistes ne s’est pas arrêté là. Le lendemain soir, les deux leaders du groupe ont offert un concert acoustique intimiste devant une poignée de privilégiés dans l’historique Haute Ville de Granville. Un moment rare, confidentiel, où les voix et les guitares ont résonné au-dessus des remparts, face à la mer — comme un écho lointain à leur Groenland natal.

La venue de Nanook à Granville s’inscrit dans le cadre du festival Aluu ! Le Groenland à Granville, événement né du jumelage entre Granville et Uummannaq, petite ville insulaire de 1400 habitants située à environ 600 kilomètres au nord du cercle polaire arctique, également connue comme étant la ville d’origine du groupe de Heavy Metal Siissisoq il y a 30 ans. Depuis quatorze ans, ce jumelage donne lieu à des échanges culturels, scolaires et artistiques réguliers, tissant un lien inattendu mais sincère entre la Normandie et l’Arctique. C’est d’ailleurs pour faire perdurer ce lien unique que les musiciens de Nanook ont offert durant l’après midi une représentation devant plus de 250 collégiens du secteur, suivie d’un temps d’échanges.

Cette date française n’aurait pas été possible sans le soutien, entre autres, du ministère de la Culture du Groenland, qui œuvre à faire rayonner les artistes du pays au-delà de la Scandinavie. La culture groenlandaise mérite d’être vue et entendue ailleurs dans le monde, souligne-t-on du côté de Nuuk.

Pour Granville, cette première venue de Nanook est bien plus qu’un concert complet : c’est une célébration d’un jumelage vivant, une ouverture sur un territoire lointain et une rencontre humaine rare. Pour Nanook, c’est une nouvelle étape internationale, portée par un public français conquis, curieux et déjà prêt à accueillir de nouveau les voix du Nord.

Et pour tous ceux qui étaient là, c’est le souvenir d’une soirée lumineuse, où la musique a fait fondre la distance entre les glaces du Nord et le littoral normand. Qujanak Nanook !

Setlist :

1. Nunarput Kusanaq
2. Ai Ai
3. Ataasiusutit Misigissuseq
4. Ilissinnut
5. Pissusitoqaraat
6. Aarnuaq
7. Qummut Isigaara
8. Sussa Ilaallutit
9. Inuinnaagavit
10. Salliutitani
11. Qiimassutissarput Aajuna
12. Tarniga Piareerpoq
13. Pinngortitaq
14. Sivittorpormi
15. Kisimiinneq
16. Timmissat Taartut
17. Piujuarnissarput
18. Seqinitta Qinngorpaatit
19. Ingerlaliinnaleqaagut
20. Nanook

Un énorme merci au Comité de jumelage Granville-Uummannaq, ainsi qu’à l’équipe de l’Espace Culturel (notamment son directeur Patrice Desbleumortiers, et l’adjoint à la Culture Michel Caens), pour le formidable accueil qui m’a été réservé ce soir là. Et bien sûr aux membres de Nanook qui m’ont accueilli les bras ouverts tout au long de la soirée (Qujanak !).

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