Il avait disparu. Pas vraiment disparu comme on s’efface pour fuir, mais plutôt comme on s’efface pour respirer. Orelsan, l’homme qui avait tout dit sur l’adolescence éternelle et le désenchantement de la jeune vie d’adulte, revient après le vacarme. Et ce retour, à contre-courant de toutes les attentes, ne ressemble pas à un comeback de rappeur, mais à un retour d’humain.

La fuite en avant n’est pas un album de plus, c’est une respiration après l’orage. Le caennais y dépose ce qu’il lui restait de doutes, de peur de vieillir, de fatigue aussi. On n’y trouve plus la rage blessante du Chant des sirènes ni le vernis conceptuel de Civilisation, mais une étrange paix. Celle d’un type qui a cessé de se battre contre le monde pour apprendre à vivre dedans. Autour du film Yoroi, Orelsan invente un univers-miroir, à la fois intime et symbolique. Le Japon y devient décor et refuge, métaphore d’un homme en quête d’équilibre. Le film et l’album dialoguent comme deux faces d’un même trouble : celui de la notoriété, de la paternité, de la dualité. La fuite en avant, chez lui, n’est plus une course, c’est une manière d’avancer en trébuchant.

Musicalement, Orelsan explore ses zones grises. Il rappe moins, chante davantage, s’autorise la douceur sans craindre le ridicule. Les prods minimalistes de Phazz, Skread et Eddie Purple se parent de claviers éthérés, de refrains planants (Plus rien, avec Lilas Ikuta), de décharges électriques (Soleil levant, avec SDM) ou de fulgurances K-Pop (Oulalalala). À quarante ans, il ose ce qu’il n’aurait jamais osé à trente : l’émotion frontale, la vulnérabilité.
On retrouve ses obsessions – l’internet toxique, les amis qui s’éloignent, les doubles intérieurs (La petite voix / SAMA). Mais quelque chose a changé : il ne cherche plus à convaincre, juste à comprendre. On le sent las et lucide, parfois drôle malgré lui (Boss), souvent tendre, presque désarmé (Deux et demi – déclaration d’amour et d’appréhension de futur père).
Le disque s’écoute comme une traversée : les couplets se confondent avec des confessions, les refrains deviennent des points de suspension. Orelsan, qui a souvent fait de la mélancolie un spectacle, en fait ici une matière douce, une vérité calme. Et puis il y a Épiphanie, morceau-fenêtre, où tout retombe, où il parle bas. Pas de punchline, pas d’effets : juste un homme qui tire les leçons de ce qu’il a été. C’est peut-être là qu’il est le plus beau — quand il ne joue plus à être le rappeur, mais qu’il se contente d’être le témoin.

La fuite en avant divisera. Trop contemplatif pour certains, trop doux pour d’autres. Mais c’est précisément cette douceur qui en fait un album majeur : Orelsan n’essaie plus de plaire, il s’autorise à être sincère. Ce n’est plus un disque de survie, c’est un disque d’équilibre. Et si la crise de la quarantaine devait avoir un son, ce serait celui-là : celui d’un homme qui ne fuit plus vraiment, mais avance encore – un peu bancal, un peu lucide, mais terriblement vivant.

14/20

Tracklisting :
1 – Le pacte
2 – Plus rien (feat. Lilas)
3 – Ailleurs
4 – Boss
5 – Deux et demi
6 – Osaka
7 – Encore une fois (feat. Yamê)
8 – Internet
9 – Dans quelques mois
10 – Oulalalala (feat. FIFTY FIFTY)
11 – Tellement d’amis
12 – La petite voix
13 – SAMA
14 – Soleil levant (feat. SDM)
15 – Les monstres
16 – Epiphanie
17 – Yoroï (feat. Thomas Bangalter)

Titre incontournable : Plus rien, Epiphanie
Titre dont on aurait pu se passer : Osaka, internet
Titre ovni : Yoroï

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