Un album ou un manifeste ?

Parfois, il faut cesser de débattre de ce que « devrait être » la musique extrême, et observer ce qu’elle devient. Popular Monster, nouveau rejeton de Falling In Reverse, est un disque qui, sans jamais demander la permission, infiltre les codes du Metalcore, les distord avec les outils du Hip-Hop moderne, puis les reconfigure en une entité post-genre, entre le cri primal et l’algorithme.

Et si l’on s’offusque encore de voir des breakdowns enchaîner des flows rappés ou des guitares syncopées se frotter à des nappes synthétiques, c’est qu’on n’a pas compris que Ronnie Radke ne cherche pas à plaire au cercle — il vise la brèche.

Popular Monster n’est pas un album né en studio mais un agrégat de singles publiés entre 2019 et 2024. Ce qui aurait pu sonner comme une compilation désincarnée fonctionne en réalité comme un journal de guerre sonore, où chaque morceau documente une époque, un mood, une violence.

Sept titres préexistants (dont les massifs Popular Monster, Watch the world burn, Zombified), augmentés de quatre nouveaux, forment un tout étonnamment fluide. Ce n’est pas une collection de titres : c’est une architecture mouvante, à mi-chemin entre album concept et défragmentation musicale.

Radke n’est pas un frontman classique. C’est un opérateur polymorphe. Il peut rapper furieusement (Watch the world burn), hurler comme un vocaliste Deathcore (Ronald), ou livrer un refrain Pop parfaitement calibré (Trigger warning, Voices in my head). Cette diversité n’est pas décorative. Elle incarne la schizophrénie émotionnelle du projet : tout y est instable, survolté, borderline.

La production (signée Tyler Smyth, Cody Quistad et Charles Massabo) joue à plein régime sur le surtraitement sonore. Chaque son semble avoir été traité jusqu’à l’overdose : kicks surcompressés, guitares accordées au fond de l’abîme, effets vocaux omniprésents. Ce n’est pas subtil — c’est voulu. C’est une esthétique du trop, du too much postmoderne, parfaitement assumée.

C’est sur Ronald que le croisement des genres est poussé à son paroxysme. La présence de Tech N9ne et d’Alex Terrible (Slaughter to prevail) aurait pu être du name-dropping gratuit. Elle devient un trio chirurgical, chacun assumant son rôle sans cannibaliser l’autre. Le titre culmine dans un passage synthético-dissonant qui fait voler en éclat les frontières : c’est du rap, c’est du Metal, c’est une alerte rouge.

Watch the World Burn, quant à lui, est le cœur nucléaire du disque. Flow articulé à la syllabe près, montée en tension sinistre, drop blackened quasi symphonique… Ce morceau est une arme sonore. Une masterclass de tension/déflagration. On n’assiste pas à une chanson, mais à un assaut.

Derrière le spectacle grandiloquent, Popular Monster est un album profondément personnel, voire dérangeant. Radke y parle de son rejet, de sa paranoïa, de ses traumas, mais aussi du monde qui l’a façonné et trahi. C’est une œuvre qui ne cherche pas la rédemption. Elle documente la chute, point barre.

La reprise de Last Resort de Papa Roach, qui clôt l’album, aurait pu tomber dans le pastiche nostalgique. Elle devient, entre les mains de Radke, un écho spectral à ses propres obsessions : isolement, confusion, autodestruction. Ironique ? Peut-être. Lucide ? Sûrement.

Popular Monster est un disque brutal, non par ses riffs, mais par sa violence structurelle. Il perturbe les certitudes, injecte du Hip-Hop dans les veines du Metal sans filtre, sans stérile hypocrisie. Falling In Reverse n’est pas un groupe de Metalcore. C’est une anomalie en pleine expansion. Et cet album est son manifeste le plus abouti.

16/20

Falling in reverse - Popular Monster

Tracklisting :
Prequel
Popular Monster
All my life (feat. Jelly Roll)
Ronald (feat. Tech N9ne & Alex Terrible)
Voices in my head
Bad guy (feat. Saraya)
Watch the world burn
Trigger warning
ZOMBIFIED
NO FEAR
Last resort (Reimagined)

Titre incontournable : Watch the world burn
Titre dont on aurait pu se passer : NO FEAR
Titre ovni : Ronald

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