Chaque nouvelle sortie de Taylor Swift tient du rituel collectif. À chaque disque, la planète Pop s’arrête, les timelines s’embrasent, les classements explosent. Un an et demi à peine après The Tortured Poets Department — son album le plus littéraire, presque crépusculaire —, la reine d’Amérique revient avec The Life of a Showgirl, disque clinquant, solaire, et résolument tourné vers la scène. Ce nouvel album ressemble à la bande-son cachée du Eras Tour, cette tournée pharaonique qui a redéfini la notion même de “spectacle Pop”. Tout ici sent la route, les loges de stade, le vertige du succès et la fatigue du costume qu’il faut remettre chaque soir.

Exit la mélancolie feutrée, place à une énergie retrouvée. Taylor Swift renoue avec ses partenaires historiques Max Martin et Shellback — les architectes de 1989 et Reputation. Jack Antonoff, figure clé des dernières années, est mis sur la touche. Lui qui emballe d’une noirceur élégante les Lana del Rey et autre Lorde, ne traitera pas cet opus. Et ça s’entend : The life of a Showgirl respire une Pop plus directe, plus frontale, taillée pour les arènes. L’ouverture, The Fate of Ophelia, rejoue Shakespeare sur fond de romance moderne, mais peine à décoller. Il faut attendre Elizabeth Taylor pour retrouver le souffle des grands jours : refrain étincelant, production millimétrée, écriture affûtée.

Sur Opalite, dédiée à sa mère en lutte contre le cancer, La fille de l’Amérique dévoile une émotion contenue, presque fragile. Le pont, lumineux, rappelle les moments suspendus de Red — ces instants où l’artifice cède à l’humain.

Father Figure s’impose comme l’un des morceaux les plus forts du disque. Swift y revisite la trahison de son ancien producteur qui avait vendu son catalogue, transformant une humiliation publique en leçon d’industrie. Derrière la douceur du ton, c’est un manifeste sur l’autonomie des artistes, une lettre ouverte à toute une génération. Puis vient Eldest Daughter, ballade au piano dépouillée, simple et magnétique. Un piano tout proche du micro, un texte à vif — du Swift pur jus, où chaque silence compte. Ruin the friendship, presque enfantine dans sa mélodie, fonctionne comme une respiration au cœur de l’album, un dialogue avec les fantômes du passé : la confession d’une star qui doute encore, malgré tout. Le tempo s’emballe avec Actually Romantic, qui se permet de piocher allègrement ce qu’avait fait les Pixies avec leur chef d’œuvre « Where is my mind » tout riff Pop-Punk en avant, ce morceau sympathique au demeurant laisse un sacré goût de déjà vu…  Wi$h Li$t retombe un peu dans la routine Swiftienne : Synth-Pop trop sage, texte convenu sur l’impossibilité de vivre incognito. Un moment creux dans un disque autrement bien construit.

Heureusement, Wood relance la machine. Guitare syncopée, groove sexy, métaphores à peine voilées : Taylor Swift assume ici un érotisme inédit, entre tension et malice. Cancelled! aborde la “cancel culture” avec des mots déjà entendus, mais une production si nerveuse qu’on pardonne le manque d’inspiration. Beats claquants, refrain fédérateur : un futur hit, calibré mais efficace. Honey conclut la montée avec un cocktail irrésistible de R’n’B et de Country — une fusion qui rappelle ses racines tout en regardant vers l’avenir. Et vient enfin le titre éponyme, The Life of a Showgirl, annoncé comme le duo événement avec Sabrina Carpenter. Un morceau ambitieux, parfois trop poli, mais grandiose dans sa construction. Les deux voix s’entrelacent avec élégance, même si l’on aurait aimé un contraste plus marqué. L’aura globale du morceau fait penser à une passation de pouvoir entre piliers de la Pop. L’outro, captée en live, referme le disque sur un ton presque cinématographique.

The Life of a Showgirl n’est pas l’album le plus audacieux de Taylor Swift — surtout en termes de paroles — ni le plus émouvant. Mais c’est sans doute le plus conscient de ce qu’elle est devenue : une artiste totale, capable de transformer la machine pop en journal intime géant. Là où Midnights et The Tortured Poets Department exploraient le doute, Showgirl revendique la lumière — sans naïveté, mais avec assurance. Ce que l’album perd en fragilité, il le gagne en énergie et en panache. Swift signe ici une timide œuvre balancée, représentative des diverses humeurs qu’elle a pu proposer au fil de sa carrière, à la croisée du confessionnal et du spectacle. Une réconciliation entre la femme et la légende, entre le miroir et la scène. Et au fond, c’est peut-être ça, The Life of a Showgirl : l’art de continuer à jouer, même quand le rideau tombe.

13/20

Tracklisting :
1- The fate of ophelia
2-Elizabeth Taylor
3-Opalite
4-Father figure
5-Eldest Daughter
6-Ruin the friendship
7-Actually Romantic
8-Wi$h li$t
9-Wood
10-CANCELLED!
11-Honey
12-The life of a showgirl (ft. Sabrina Carpenter)

Titre incontournable : Elizabeth Taylor
Titre dont on aurait pu se passer : Wi$h Li$t
Titre ovni : Ruin the friendship

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