Une fois n’est pas coutume, je vais faire ma chronique à la première personne car le sujet de ce livre est clivant et que tout commentaire sur l’affaire ne peut être que personnel (même si le but de cette chronique n’est évidemment pas de donner un avis sur les faits). Ce livre revient avec un recul de 20 ans sur le féminicide de Marie Trintignant et s’attarde sur le parcours de Bertrand Cantat suite à celui-ci. Un sujet lourd, un livre pas très agréable à lire, mais un livre nécessaire.
J’ai beau ne pas être un fan, j’ai toujours écouté du Noir Désir, le groupe faisait partie de la culture Rock française, une culture déjà pas très importante avec assez peu de concurrence valable, même à l’époque. Les titres passaient en radio régulièrement et le groupe produisait quelque chose d’authentique et pas une soupe pré-mixée comme on a plutôt l’habitude d’avoir sur les ondes. Après l’affaire, j’ai un peu lâché la suite des aventures de Cantat, je n’ai jamais entendu une note de Detroit et encore moins la fin de son aventure musicale sous son propre nom. Au-delà des actes violents du chanteur, ça ne m’intéressait pas musicalement. Cantat sans Noir Désir n’a pas d’intérêt artistique majeur, ce propos n’engage que moi. Mais peut-être que mon inconscient a simplement du mal à gérer l’acte du chanteur et que ça m’a coupé l’envie de continuer à le suivre. Je me souviens qu’à l’époque des faits, lors de la mort de Marie Trintignant en Lituanie, certaines réactions de fans étaient plutôt tranchées. On disait sans honte « Elle l’a sûrement cherché. » ou encore « De toute façon, c’était une connasse. ». C’était avant MeToo et c’était malheureusement monnaie courante ce type de commentaire. Les fans défendaient leur idole, les autres la condamnaient plus ou moins durement ou n’avaient pas d’avis public sur la question. Quel que soit le camp, on était tous emmerdé par cette histoire et on aurait simplement eu envie que ça n’arrive pas. Mais bon, c’est arrivé.
Ce livre intervient donc bien après les faits, bien après le mouvement MeToo et il permet de donner un nouveau regard sur les évènements. Le point de départ c’est la rencontre de Bertrand Cantat et de Marie Trintignant et la journaliste va retracer l’histoire jusqu’à la fin de carrière supposée de Cantat vers 2010. Il y est question des évènements qui se sont déroulés en Lituanie, le crime, le procès et l’incarcération, mais aussi de la suite avec le suicide de l’épouse de Bertrand Cantat. A l’époque on a très peu parlé du suicide de Kriztina Rady, l’épouse du chanteur. Le livre s’attarde sur ce point avec beaucoup plus de détails qu’aucun média ne l’a fait à l’époque.
Le style d’écriture est très journalistique, Anne-Sophie Jahn est une journaliste au Point, elle y est spécialiste des sujets musicaux et elle s’intéresse beaucoup au féminisme dans ces milieux. Il est donc assez facile à suivre, ça se lit vite. Toutes les informations sont sourcées, il s’agit souvent de témoignages faits à l’auteure, mais elles peuvent aussi venir d’autres livres ou d’articles parus. La journaliste a fait un énorme travail d’enquête. De mon point de vue, le livre n’est jamais à charge. Anne-Sophie reste factuelle, elle déroule les résultats de ses recherches de la manière la plus dépassionnée possible. Lorsqu’elle s’étonne des procédures qui n’ont pas été suivie à l’époque, c’est toujours pour dénoncer une évidence. Elle n’invente pas de détail pour coller à ses idées et surtout, elle ne cherche pas le sensationnel. C’est appréciable.
Finalement, il ressort de ce livre une vision plus claire de ce que représente Bertrand Cantat aujourd’hui. Un homme violent et torturé, une victime devenue bourreau avec son entourage, mais aussi un artiste déchu et pourtant encore protégé par une omerta. Cette situation dérange, personne n’a réellement envie d’en faire un exemple médiatique. Mais là où le livre interroge encore plus le lecteur, c’est sur les sujets artistiques. Peut-on dire que sans cette personnalité Bertrand Cantat aurait été capable de pondre les œuvres qu’il a produit et que beaucoup aiment ? Et compte tenu de tout ce qui s’est passé, peut-on encore écouter ses œuvres tout en condamnant celui qui les a produites ? En d’autres termes, peut-on réellement et en toute objectivité, décorréler l’artiste et l’œuvre ? Et au-delà de ces questions artistiques (le sujet qui nous occupe en premier lieu chez Melolive), il y a les questions de société. On voit bien qu’avant le changement de mentalité initié par le mouvement MeToo, notre société majoritairement patriarcale avait plutôt tendance à minimiser ce type d’affaire, surtout si elle touchait une figure importante. Bertrand Cantat était soutenu principalement parce qu’il représentait, à l’époque, le camp du bien avec ses idées. Le moraliste contestataire du pouvoir, qui crachait sur le système (dont il profitait tout de même, on ne l’a pas vu quitter Universal…) s’est transformé en mari violent qui bat les femmes et qui les harcèle moralement. Forcément ça fait désordre. On notera que la gauche écolo bienpensante était de son côté ! Et pour cause, son frère était marié avec Cécile Duflot alors ministre à l’époque. Tous ces faits sont mis en exergue dans ce livre et bien plus encore.
Je ne suis pas là pour livrer mes propres conclusions sur cette affaire ou juger de quoi que ce soit, ce n’est pas à moi de le faire. Néanmoins, ce livre est à mon sens nécessaire, il permet de voir le chemin parcouru vis-à-vis des violences faites aux femmes dans notre monde et il nous ouvre les yeux sur le chemin qu’il reste à prendre.
NDR : J’ai bien conscience qu’il ne s’agit pas d’un livre parlant de musique. Néanmoins, cette dernière tient une place importante dans le récit. Le destin du chanteur soulève des questions sociales, mais aussi culturelles. C’est pourquoi j’ai tout de même choisi d’en faire la chronique sur Melolive en restant sans parti pris sur toutes ces questions.
Date de sortie : mars 2023
Livre broché – 224 pages